Un nombre croissant de managers se tournent vers le « temps partagé » et collaborent ainsi avec plusieurs entreprises en même temps. Ce secteur connaît une forte progression pour les fonctions DAF et DRH, liée notamment à une demande accrue des PME, qui ont besoin de personnes hautement qualifiées sans avoir les moyens de les recruter en CDI à temps plein.
Chez AVENIR DIRIGEANT, nous avons retracé le parcours de deux témoins et vous décrivons à travers leurs expériences, les particularités de ce statut.
Frédéric Burgun, DAF et DRH à temps partagé
Parcours :
DAF et DG adjoint dans des ETI, Frédéric a l’avantage de maîtriser tous les aspects du métier de directeur financier y compris fiscalité, trésorerie, recherche de financements, liens avec les actionnaires, mais aussi gestion RH. Il a également été pendant 2 ans DG d’une start-up qui avait besoin de se structurer. Son parcours et son aptitude à mettre les « mains dans le moteur » le familiarisent avec les problématiques des structures à taille humaine, pour des missions de DAF et de DRH
Le basculement
Frédéric, s’est retrouvé sur le marché du travail à 54 ans. Il se refuse à dépenser son énergie trop longtemps dans une recherche de CDI et décide de prendre son destin en main. Il se renseigne sur le métier de DAF à temps partagé, interroge plusieurs personnes qui pratiquent cette activité, Il comprend alors que l’âge, au lieu d’être un handicap, est plutôt un avantage, car gage de séniorité et d’expérience dans la fonction.
Il apprend très vite que lorsque l’on fonctionne à temps partiel dans une entreprise, en tant que prestataire, on est moins soumis au jeu d’acteurs, aux luttes de pouvoirs, à la crainte de perdre son job. L’efficacité et la recherche de résultat priment, avec un véritable positionnement de business partner.
Le démarrage
Frédéric décide de cibler les PME de 10 à 50 salariés. En dessous, les structures n’ont pas suffisamment de moyens. Au-dessus de 50 salariés, les besoins justifient plutôt une embauche à temps plein.
Pour trouver ses premiers clients, en tant que DAF et/ou DRH à temps partagé, il opte pour les mêmes techniques d’activations de réseau que pour une recherche d’emploi. Les contacts sont venus.
Mi 2016, 4 mois après avoir pris la décision de devenir DAF à temps partagé, il démarre sa première mission. Très vite d’autres opportunités sont apparues, soit pour des missions de longue durée, à raison de 1 à 2 jours par semaine ou par mois, soit pour des besoins ponctuels, type management de transition à temps partiel.
Après avoir démarré en portage salarial, Frédéric décide de créer sa société, une SASU, pour pouvoir facturer ses prestations. Une exception à noter : un client avait besoin d’un DRH à temps partagé, cela impliquait de présider les IRP, et à ce titre il a dû être embauché en tant que salarié à mi-temps.
Aujourd’hui
Après 2 ans, Frédéric a 4 clients récurrents. Il travaille… à plein temps ! Il lève le pied sur les tâches routinières, forme les collaborateurs chez ses clients, afin de pouvoir se consacrer à des tâches à plus forte valeur ajoutée.
Fréderic nous fait partager quelques enseignements :
« Si je me fais approcher pour des postes à temps plein, je décline, afin de mieux répartir les risques. J’ai par ailleurs repéré de nouveaux besoins avec l’entrée en vigueur du RGPD (règlement général pour la protection des données), j’ai parallèlement développé une nouvelle compétence et me suis formé. Je peux ainsi répondre aux nombreuses demandes de prestations pour se mettre en conformité et accompagner mes clients sur ce besoin élevé et urgent (le règlement est entré en vigueur le 25 mai !)
Dans ce contexte, travailler pour plusieurs clients nécessite d’être très organisé. On attend de moi que je sois réactif, je dois savoir répondre rapidement aux demandes car j’assure le service au client, tout en leur faisant comprendre que je ne suis pas en permanence à leur disposition, puisqu’à temps partiel. Cela requiert une certaine discipline, du tact et une bonne dose de fermeté. »
Les plus et les moins du métier selon Fréderic
« Le premier avantage est la liberté et la souplesse que ce type d’activité à temps partagé me procure. Je peux me permettre aujourd’hui de ne faire que ce qui m’intéresse, de refuser des missions, d’orienter mes clients vers d’autres solutions si je le juge opportun. Je jugule le risque lié au fait de n’avoir qu’un seul employeur.
En contrepartie, j’ai dû déployer une énergie intense pour trouver mes premières missions. Et aujourd’hui encore il me faut régulièrement trouver de nouveaux clients. La démarche commerciale n’est pas évidente pour un DAF…
Il faut aussi faire face à un certain isolement : Je suis en quelque sorte mon propre patron. Pour cela j’ai intégré le pôle « DAF à temps partagé » au sein de la DFCG, l’association des directeurs financiers et de contrôle de gestion, ce qui me permet d’échanger avec des pairs, et de trouver d’autres missions. »
Pour en savoir plus sur Frédéric
Henry Dorbes, DAF en temps partagé
Parcours :
Afin de financer ses études supérieures, Henry a facturé des honoraires en utilisant ses compétences en informatique (c’était le début…) pour plusieurs sociétés en parallèle. Il a ainsi été familiarisé très jeune au travail à temps partagé. Une fois diplômé, il est devenu salarié et a grandi dans la fonction de directeur financier, d’abord dans un cabinet de conseil, puis pour les filiales d’un groupe international, et enfin dans une société d’ingénierie dont il a accompagné durant 4 ans la très forte croissance et son introduction en bourse.
Le basculement
A 40 ans, après ces douze années de salariat, il quitte l’entreprise et se fait financer un Executive MBA à HEC. De nouveau sur le marché du travail, les jobs de DAF qui lui sont proposés lui paraissent fades par rapport à sa dernière expérience et à son investissement dans le MBA.
Il se laisse alors happer par des amis qui le sollicitent pour les aider dans leurs projets : l’un monte une compagnie aérienne low cost, l’autre souhaite vendre son entreprise. Ils ont besoin d’aide solide sur les aspects financiers.
Le démarrage
Très vite, il travaille pour 4 sociétés différentes et prend goût à ce type d’activité à temps partagé.
A bout d’un an, il monte un réseau de DAF à temps partagé, et prend plaisir à démarcher de nouveaux clients. L’aventure continue jusqu’à ce que sa femme soit mutée aux US et lui demande de l’accompagner à Chicago.
Il laisse la société à ses associés en France et en remonte une nouvelle aux Etats-Unis, pour accompagner, toujours à temps partagé et en indépendant, des entreprises françaises qui s’implantent sur ce marché. L’aventure durera presque 4 ans.
A son retour en France, fin 2009, son activité redémarre grâce notamment à des Français rencontrés à Chicago qui le sollicitent à nouveau en France. Il devient DAF/DG à temps partagé de l’une des entreprises, à raison de 1,5 jours par semaine, puis 3, puis 3,5 jours… pour accompagner la croissance de l’entreprise dont le CA passe de 1,5 M€ à 25 M€ en 6 ans.
Après 15 ans
A 55 ans, Henry, gérant de sa société Acting-Services, a en moyenne 4 clients qui l’occupent 1 à 1,5 jours par semaine chacun et facture des honoraires à un taux journalier minimum de 1000 €. Ses missions se déroulent sur un temps long, de 1 an à plus de 6 ans, pour des entreprises de services de 1 à 40 M€ de chiffre d’affaires. En dessous d’1 M€ de CA, les entreprises n’ont pas les moyens de payer, et au-delà d’un certain seuil, l’activité requiert en général un plein temps.
Pour conclure ce portrait, nous laissons la parole à Henry :
« Je suis DAF, mais aussi DRH, DGA… je coache les dirigeants, bâtis la stratégie avec eux et participe au développement ou à la restructuration de leurs entreprises. C’est ce qui m’anime.
Je me suis découvert des talents de commercial et ça c’est fondamental…
J’apprécie la pluralité des missions, la multiplicité des cultures d’entreprises, zapper de l’une à l’autre. Je savoure le fait de ne plus être dans une seule société et une seule culture et sans lien de subordination. Mes missions deviennent un plaisir et ne sont pas subies. Mon passage par les Etats Unis me donne le sentiment d’être un peu citoyen du monde.
En outre, le fait de couper la semaine en morceaux, de cloisonner les sujets, me procure une tranquillité d’esprit remarquable : Je ne pense presque plus à mes missions quand je n’y suis plus. Ce dispositif me permet de prendre du recul, de me sentir plus libre. Si l’un de mes clients est insatisfait, la mission s’arrête et ce n’est pas très grave : il a d’autres missions en cours. Je suis passé de la précarité du CDI à la non précarité totale !
Les dirigeants avec lesquels je travaille ont souvent entre 30 et 45 ans. Ma séniorité est un avantage, un gage d’expérience, de solidité qui rassure. Les salariés, souvent très jeunes dans les startups que j’accompagne, apprécient de bénéficier des apports de quelqu’un de plus expérimenté.
Toutefois, fonctionner avec des jeunes dans des startups qui n’ont pas la même approche de l’entreprise… et souvent pas d’horaires, est fatiguant. Sans compter le fait de passer d’un client à l’autre dans la même journée !
Quels conseils pratiques tirer de mon expérience ?
Au départ, pour développer mon activité, j’avais fait un site internet et une plaquette… Aujourd’hui, ça ne sert plus à rien. La visibilité sur les réseaux sociaux, le nombre de contacts et les recommandations sont infiniment plus efficaces. Je sais que j’ai un produit de qualité à vendre, et dans ma démarche commerciale, je me positionne avant tout comme un « apporteur de solutions ».
Je recommanderais également de ne pas démarrer trop tôt, car Il vaut mieux basculer quand on estime avoir obtenu son bâton de maréchal, pour le bénéfice de toutes les parties, prestataire et clients. En effet, Il faut avoir une expérience salariée significative, être déjà monté en responsabilité, avoir managé des équipes. Une fois à temps partagé on ne monte plus ».